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1137.

En retirant une œillère au lecteur on libère la toupie.


Les différences sociales et les oppositions de classes pâlissent devant la division actuelle des hommes entre les amis et les ennemis du mot. En vérité boucs et
agneaux. Je sens presque physiquement une sale odeur de bouc qui provient des ennemis du mot. Ici
convient à merveille l’argument en ultime recours de chaque grave désaccord : mon adversaire pue.

815.

Mes critères de lecture se résument aujourd’hui à l’objectivité d’un livre cousu. Le fil est à mes yeux porteur de valeurs sûres. La colle me semble moins fiable. Le fil du temps ne tient jamais longtemps.

En renonçant au fil, de nombreux éditeurs renoncent à établir leurs textes dans la pérennité du livre cousu. Confiant leur assemblage aux chaînes d’impression numérique, incompatibles avec le fil, l’éditeur place ses livres dans le temps raccourci du libraire ou du convalescent.

Le temps court cherche la colle. Le texte sans fil saute au plafond à la moindre ouverture après vingt ans de glu, souvent moins. Le fil ne coûte pas cher pourtant, mais il exclut l’impression numérique.

Que l’impression des livres sans fil soit numérique fait sens. Le livre collé préfigure la tablette. Les pages volantes travaillent à la dysparution du livre.

Le choix des éditeurs pour la colle ou le fil en dit plus long sur leur manière de confronter le livre au temps qu’un contenu trop subjectif. Les pages sans fil s’éparpillent dans l’espace, glissent sous les meubles, se perdent, cherchant vainement le soutien mou de l’élastique. La tablette numérique leur offre dorénavant un espace de survie transitoire.

Rien ne fera pourtant de la tablette un livre, encore moins un livre numérique. Elle tient ensemble les pages volantes d’un livre absent, constamment disponible, constamment épuisé. Elle est support sans fil, suppôt sans colle, livre en sursis. Regardons-la sans désir en attendant les premiers livres véritablement numériques. Découvrons leur manière de s’inscrire dans l’espace et le temps.


250.

Chose curieuse, le lecteur de Marc L. ou d’Anna G. est plus enclin à accepter mes goûts que moi les siens. Je n’ose rien en conclure.

C’est une sorte d’Isidore Ducasse, vingt-quatre ans de métier en plus.

Savez-vous qu’il existe en France des familles sans livre et sans littérature où l’on vit (relativement) bien ?

Vous me voyez venir avec mon gros marteau dans le dos.