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248.

Comment refuser avec justesse et fermeté ce manuscrit que mon goût – fait de lectures et d’expérience, d’aveuglements, d’audaces et de passivité, de jugement et d’erreur, de passions molles et de préjugés tenaces – m’a incliné à accepter pour un autre écrivain ?

J’ai aimé ce livre et je choisis de le publier. Le vôtre ne me parle pas. Je vous encourage à le porter ailleurs.

Dans ma fonction d’éditeur, il m’arrive avec certains critiques ce qui arrive aux auteurs refusés.

Du centre à la périphérie, quel que soit le cercle où il se situe, le critique littéraire prend de manière involontaire (j’en suis persuadé) des airs de diva dérangée pendant ses bains de gorge, ou bien répond aux abonnés absents – jeux de pouvoir agaçants – inscrits en quelque sorte dans la fonction – sans même accuser réception de nos ouvrages, leurs couleurs réjouissantes, leurs marque-pages colorés, leur contenu, ni saluer la naissance de notre petite entreprise (qui n’eut jamais d’exemple et dont les imitateurs ont été abattus par nos tueurs à gages).

Auteurs refusés – je viens de vous comprendre. Vous avez besoin d’encouragements !

Il est naturellement regrettable que ce qui nous occupe et nous émeut et nous transporte et nous semble le sommet de la joie d’écrire et de la joie de publier ne retienne pas l’attention mal informée des gens qui nous entourent dont les délectations moroses nous sont des déserts incompréhensibles (on pourrait en parler, mais faute de temps on se donne des gifles).

La brosse à dent n’imagine pas le monde au-delà de sa timbale.

Maxime universelle pour lavabo.

Reste une question. Pourquoi ne pas signaler son refus en termes directs, signes de courtoisie et d’intelligence : « Ce que vous faites ne correspond pas aux
goûts que nous souhaitons défendre. »

 

– Allez vous faire recenser ailleurs !

 

– À coups de gnons si besoin est ! hurla David Ténia, coup droit dans le miroir. J’ai des mornifles à profusion. Quand t’en veux, t’en as.

 

244.

Je prends en route une émission littéraire, où un extrait est lu. « Comment peut-on s’attarder sur un livre aussi grossièrement écrit, si peu inspiré, bardé de clichés sur l’art et la nature, riant comme la mort », ai-je pensé. Enfin son titre au terme de la longue et lente lecture est prononcé. Méfions-nous de la nature sauvage d’Elfriede Jelinek, qui reparaît en poche. Méfiance donc.

D’Elfreide Jelinek, j’aime le côté Hanna Schygullah. Même langue, même coiffure.

Mes goûts sont à moi-même ce que moi est à même + trait d’union irréductible.

Vient le jour où le nouveau livre d’un écrivain a pour concurrent ceux qu’il a précédemment écrits.

Grossis ton trait, évite ta mire, décuple ton geste, et vas-y, mon lapin, lâche ta purée. (Ta peur de l’obscène finira par te coûter le Nobel.)