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1335. « quoi que vous en pensiez »

En réponse à un article de Robert Desnos en date du 3 mars 1941 secouant Les Beaux draps, Céline demande un droit de réponse au journal Aujourd’hui, qu’il obtient le 4 mars. La sommation est présentée par huissier au journal « à la requête de M. Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, demeurant à Paris, 11 rue Marsolier ».

Monsieur le Rédacteur en chef,

Votre collaborateur Robert Desnos est venu dans votre numéro 3 du 3 mars 1941 déposer sa petite ordure rituelle sur les « Beaux draps ». Ordure bien malhabile si je la compare à tant d’autres que mes livres ont déjà provoquées – un de mes amis détient toute une bibliothèque de ces gentillesses. Je ne m’en porte pas plus mal, au contraire, de mieux en mieux. M. Desnos me trouve ivrogne, « vautré sur moleskine et sous comptoirs », ennuyeux à bramer moins que ceci… pire que cela… Soit ! Moi je veux bien, mais pourquoi M. Desnos ne hurle-t-il pas plutôt le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… « Mort à Céline et vivent les Juifs ! » M. Desnos mène, il me semble, campagne philoyoutre (et votre journal) inlassablement depuis juin. Le moment doit être venu de brandir enfin l’oriflamme. Tout est propice. Que s’engage-t-il, s’empêtre-t-il dans ce laborieux charabia ?… Mieux encore, que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature face et profil, à la fin de tous ses articles !

La nature signe toutes ses œuvres – « Desnos », cela ne veut rien dire.

Va-t-on demander au serpent ce qu’il pense de la mangouste ? Ses sentiments sont bien connus, naturels, irrémédiables, ceux de M. Desnos aussi. Le tout est un peu de franchise. Voici tout ce qu’il m’importait de faire savoir à vos lecteurs, réponse que je vous prie d’insérer, en même lieu et place, dans votre prochain numéro.

Veuillez agréer, je vous prie, monsieur le Rédacteur en chef, l’assurance de mes parfaits sentiments.

L.-F. Céline

La réponse de Desnos, en date du 7 mars 1941 :

« La réponse de M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline », est trop claire pour qu’il soit nécessaire de commenter chaque phrase. Au surplus, les lecteurs n’auront qu’à se référer à mon article de lundi dernier. Je crois utile cependant de souligner la théorie originale suivant laquelle un « critique littéraire » n’a qu’une alternative : ou crier « Mort à Céline ! » ou crier : « Mort aux Juifs ! ». C’est là une formule curieuse et peu mathématique dont je tiens à laisser la responsabilité à M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline ».

Robert Desnos dit « Robert Desnos »

Desnos3-1

« Mon dernier lilas bien qui lilas le dernier »

1334. ABC contre Apologie ?

Rapidement feuilleté, je m’en étais fait une idée rapide, c’était inévitable, à l’occasion d’une lecture de Jacques-Henri Michot qui n’avait pas eu lieu, samedi dernier au Mans. L’auteur était appelé ailleurs, Marseille, pour une célébration de la réimpression d’Un ABC de la barbarie, chez Al Dante.

« Un livre magnifique, nourrissant, indispensable ! » dit-on de lui ici.

Mince.

Et moi qui m’en fais une idée rapide.

Cité par Pierre Parlant, dans un article intitulé « La contre-battue », Jacques-Henri Michot ne semble pas en reste. Son livre est important – nécessaire : « Nécessité que je vois, en fin de compte, de produire aussi une manière de toute petite machine de guerre contre la fausse solidité bétonnée criarde calamiteuse sinistre de la parlerie à prétention “consensuelle” ».

Re-mince. Pas rien. Respect.

Et moi qui viens de m’en faire une idée rapide.

J’y retourne aujourd’hui et me jette, pour autant qu’un abécédaire puisse susciter chez moi un tel élan, sur l’exemplaire encore intact de la librairie. Et je feuillette l’abécédaire qui compile sans relâche – nécessité fait loi – les mots de la Barbarie contemporaine, de A à Z, me disant que l’entrée D, idée dernière la tête, fournirait à ma mauvaise foi la lettre en même temps que l’esprit.

Voici :

D.

(…)

n° 38.  D é  l  o  c  a  l  i  s  a  t  i  o  n  s

(p. 59)

Délocalisations, avec pluriel, figure parmi les mots (et les pratiques ?) honnis par tout Contre-barbare qui signe et qui ne simule pas. Enfin la vérité sur l’impression des livres !

Celui-ci, la dernière page s’en vante, est imprimé en Bulgarie, avec soutien du CNL, qui lui non plus ne stimule pas les éditeurs subventionnés pour qu’ils s’achètent une tenue décente. La morale n’est pas un déshabillé !

La main-d’œuvre à bas coût, infinie et renouvelable, prête donc main-forte à cette contre-rhétorique contre-barbare (accrochez vos bretelles), véritable « (petite) machine de guerre ».

Comme l’écrit encore Pierre Parlant, pour célébrer l’ouvrage, « Un ABC de la barbarie expose en effet, comme en une encyclopédie tourmentée, la série discrète des circulations du monde nôtre, l’espacement de la partition de l’être qu’un usage sinistre de la langue (« mortifère jactance ») voudrait tenir et fixer dans son enclos. […] »

Discrète circulation des contradictions militantes, en effet, sous couvert de commentaires amphigouriques. La mortifère jactance s’offre un jet continu dans les petites maisons délocalisantes.

 

*

« Les riches font travailler les pauvres. » À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler les nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour empêcher de mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société. »

Auguste Blanqui, Qui fait la soupe doit la manger, 1834

*

 

J’ai préféré acheter Apologie de la Barbarie, imprimé aussi en Bulgarie. Au moins, le lecteur n’est pas trompé sur la marchandise de la révolution verbeuse.

(Je continue mes relectures roumaines et vous retrouve tantôt.)

PS : C’est vrai qu’il suffirait de biffer la ligne 38 de l’entrée D pour remettre la révolution en branle (sa petite machine rhétorique).

1333. Le même et son double

L’incompétence des traducteurs se reconnaît à la traduction même : le texte original y est toujours méconnaissable. Les éditions bilingues proposent au moins une illusion d’optique (en louchant vers la page de gauche).

Inutile de jouer la comédie du vraisemblable. Les effets de réel sont mieux réussis quand l’écrivain tire du réel ses personnages. Prenons Éric-Pessan par exemple (ou Claro). Dirait-on pas qu’ils vivent ?

Plus criant de vérité que la vérité même.

Le même est l’ennemi du semblable.

Tout grand roman relève du genre policier. Mais là au moins, l’énigme de son agencement reste entière.

Nous aurons beaucoup fait pour disqualifier les romans réalistes d’aujourd’hui et leurs personnages en proie à des problèmes existentiels toujours plus ressemblants aux nôtres, sans comprendre que ce romanesque pour lecteur perroquet ne prétend pas dire autre chose que ce qu’il dit. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie à ignorer ce principe. C’est l’histoire d’un homme qui. Rien d’autre.

(Eh, les gars ! J’exige un procès littéraire !)