Impression à Bakou

1178. Bagout et Bakou

Tout le monde semble gagné par le désir d’indépendance : le libraire, le critique, le lecteur, l’écrivain, le blogueur et jusqu’à l’éditeur. En un mot : plus personne ne souhaite payer ses livres.

J’ai eu confirmation que de nombreux libraires poussaient l’indépendance jusqu’à refuser de régler leurs factures. J’en avais fait quelquefois l’expérience à l’époque où je diffusais les livres des Doigts (des pieds et des mains). La chose aujourd’hui se confirme. Cette réalité nous oblige à une action de salut public. Nous préparons une page Facebook : « Ton libraire pue, changes-en ! »

Il existe par ailleurs des libraires libres dans toutes les villes de France. C’est pour eux que nos cœurs battent et là que nous voulons placer nos livres. Nous préparons une page Facebook : « Ton libraire lit, prends soin de lui (en plus il paie ses livres). »

 

Je viens de lire un opuscule de Blanqui* imprimé en Europe de l’Est par une maison d’édition qui publie aussi Jaurès, Kropotkine, Hugo et Louise Michel. Contaminé par la sueur bulgare, le lecteur s’en savonne les doigts d’enthousiasme. L’émulsion lui tient lieu de révolution. Nous préparons une page Facebook : « Ton éditeur de gauche est un capitaliste de droite : Et toi ? »

* « Les riches font travailler les pauvres. » À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler les nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour empêcher de mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société.

Auguste Blanqui, Qui fait la soupe doit la manger, p. 21

 

Nous remercions les éditions d’ORES ET DÉJÀ de nous avoir fourni la théorie et son illustration un premier jour de mai. Grâce à son directeur, Blanqui l’insurgé peut se coucher sur la lunette arrière.

 

Bonus et parachute doré pour le lecteur curieux de petits éditeurs militant tout schuss sur la pente bulgare du meilleur prix : Le dernier télégramme, Cambourakis, Les nouvelles éditions Cécile-Defaut, les Éditions de l’Attente… (Comptez sur nous pour compléter la liste.)

 

Nous souhaitons incliner à mort la pente de nos amis. Il y a toujours concurrence pour les remplacer. (Nous préparons une page Facebook.)

1153.

Les contenus étant soit décevants, soit périmés, il reste au lecteur que l’abaissement ambiant ne décourage pas la possibilité de choisir ses livres selon d’autres critères : laisse de côté le contenu, attarde-toi sur la fabrication, le choix des cartes, des papiers, des encres, de la typographie, du fil – du fil surtout – et du lieu d’impression (ne fais pas fi de la sueur d’autrui, cochon d’éditeur appauvri). Tu pourras ainsi déterminer objectivement la qualité d’un livre.

Réparer les vivants arrive bon dernier (commence déjà par recoudre ton livre).

1151.

Je commence maintenant mes lectures par l’achevé d’imprimer. Une toquade, un snobisme. Souvent, après lecture, je renonce au livre. Ainsi du livre prometteur de Jean-Luc Steinmetz, L’autre saison, que Les éditions Cécile Defaut publiaient récemment. Cécile-zéro-Defaut, c’étaient de très beaux livres, élégants et pensés, reliure souple, papier soyeux, cahiers et fil, textes exigeants. C’est aujourd’hui des bouquins rêches, déconfiture des pages à peine collées, brève échéance promise aux contenus. Le fil a disparu, le soin est moindre, fabrication bulgare (malgré le subterfuge consistant à indiquer le siège parisien d’une entreprise qui délocalise).

– Le contenu seul importe !

Et en effet. La puissance subversive des livres est si forte qu’elle se révèle incapable de renverser le modèle de production auquel la petite édition se rallie sagement, tout juste avant de disparaître selon les prévisions dudit modèle caca-pipi-tata-liliste, le seul réellement subversif, pour le coût.

La tendance s’amplifie. Je feuilletais hier le livre de Ian Monk, , édité par Cambourakis qui n’en fait pas mention sur son site. C’est furieux, ça crépite de tous les feux de la révolte, mais sur papier et impression bulgares, en désespoir de fil, un vrai pétrin de colle. Ouvrez le livre, mettez son grand format à plat : le voici mort à vie. Comme l’ouvrier, plus ou moins morave lui aussi. Dans le même temps, des armées de graphistes indépendants acceptent des travaux à bas prix, pour survivre zaussi, renforçant de l’intérieur le modèle économique, culturel et social de la course au meilleur prix du livre.

La tendance du sans-fil s’amplifie : Attila, Inculte, Argol (plus du tout), Tristram, Verdier, Le Dernier télégramme, Les éditions de l’Attente. Certains hésitent.

D’autres, mes amis,continuent, cahiers cousus collés, impression locale : L’Arbre vengeur, Le Bruit du temps, Pierre Mainard, Rue des Cascades, Claire Paulhan, la Collection Orphée.

La réduction des coûts, production à Bakou, est devenue la morale de la petite édition la plus en vue basse. Profitons-en pour la laisser s’éloigner, faire acte de militantisme, lui dire bye-bye, ne plus acheter ses livres à colle sous-payée.

La laisser pourrir sur le côté.