Impression à Bakou

1000.

Les petits éditeurs militants qui impriment sans déprime hors des frontières hexagonales chez nos voisins d’Europe les moins lotis confirment évidemment que le travail à bas prix enrichit les pauvres. La formule bien rodée permet des résistances comptables subventionnées sur fonds publics. Aux éditions de l’Attente, Loin, de Marie Borel, que je viens d’acheter d’enthousiasme, est de ces livres. Comme dirait Gide, cela me gâte mon plaisir. Mais pourquoi pas, finalement et tout au fond ? Les royalties sont ajustées sur le salaire moyen des écrivains bulgares (bientôt le prix du livre).

Je propose le boycott immédiat des livres imprimés à bas coût (au bord du Casse-pied).

Il semblerait plus judicieux d’importer de ces pays-là, francophones et francophiles, un lectorat féru des livres de poésie que le bobo français n’est plus depuis longtemps en mesure de déchiffrer.

— C’est d’un mauvais esprit, je vous l’accorde. Mais des plus efficaces.

815.

Mes critères de lecture se résument aujourd’hui à l’objectivité d’un livre cousu. Le fil est à mes yeux porteur de valeurs sûres. La colle me semble moins fiable. Le fil du temps ne tient jamais longtemps.

En renonçant au fil, de nombreux éditeurs renoncent à établir leurs textes dans la pérennité du livre cousu. Confiant leur assemblage aux chaînes d’impression numérique, incompatibles avec le fil, l’éditeur place ses livres dans le temps raccourci du libraire ou du convalescent.

Le temps court cherche la colle. Le texte sans fil saute au plafond à la moindre ouverture après vingt ans de glu, souvent moins. Le fil ne coûte pas cher pourtant, mais il exclut l’impression numérique.

Que l’impression des livres sans fil soit numérique fait sens. Le livre collé préfigure la tablette. Les pages volantes travaillent à la dysparution du livre.

Le choix des éditeurs pour la colle ou le fil en dit plus long sur leur manière de confronter le livre au temps qu’un contenu trop subjectif. Les pages sans fil s’éparpillent dans l’espace, glissent sous les meubles, se perdent, cherchant vainement le soutien mou de l’élastique. La tablette numérique leur offre dorénavant un espace de survie transitoire.

Rien ne fera pourtant de la tablette un livre, encore moins un livre numérique. Elle tient ensemble les pages volantes d’un livre absent, constamment disponible, constamment épuisé. Elle est support sans fil, suppôt sans colle, livre en sursis. Regardons-la sans désir en attendant les premiers livres véritablement numériques. Découvrons leur manière de s’inscrire dans l’espace et le temps.


211.

« Son beau catalogue de poésie, engagée par nature, que nous répertorions sur notre site, est soutenu par différents conseils du livre, régionaux, nationaux, et imprimé depuis un certain temps dans les soutes de l’Europe nouvelle. »

– Cela me gêne, se dit David Marsac, déclamant la puissante rhétorique de Serge Pey dans le micro de sa brosse à dent.

« Nous connaissons les avantages de la délocalisation pour y avoir songé aux Doigts dans la prose (Aïe ! Hic !),  puis renoncé pour que la littérature échappe à l’immonde traite des livres à l’œuvre dans les meilleures maisons. »

– C’est bien rêvé mais pas malin, se répondit David Marsac, dont les cartons de livres s’accumulaient le long des murs humides de sa salle de bain.