Permis de dézinguer (extrait)
« Si je crache dans la soupe, c’est pour lui donner du goût. »
Maurice Roche, Compact (réédition 1997)
Le pamphlet vise moins la cible que ceux qui la regardent.
Ne m’en veuillez pas : c’est de ma tête que partent mes mauvaises pensées, pas de mon cœur.
La haine des autres permet un champ d’exploration vaste et changeant. La haine de soi m’a toujours paru mesquine et limitée.
Personne n’est juge de la valeur d’un livre, sauf l’éditeur qui l’aimera.
À moins d’un révolver, les goûts des lecteurs sont irréversibles.
C’est chez moi une question d’éthique. Je ne dis du mal que des livres que je n’ai pas lus.
Ô Libraire, avez-vous
Les poèmes de Basho,
Les poèmes de Tou Fou,
Les poèmes de Taï-Po,
Les poèmes de Pouchkine,
Les poèmes de Robin ?
– Rien.
Quel temps fait-il dans les cimetières indépendants ?
Les gens qui nous ignorent sont-ils des ignorants ?
Fermons plutôt les yeux et découvrons les rêves numériques à même l’écran de nos paupières.
(Épuisons le livre numérique en commençant par son objet.)
Leur contenu parfois m’effleure (fleur vraiment).
Je rêve souvent à la possibilité d’avoir d’autres lecteurs que moi-même.
Ses aphorismes chauves sont moins couvrants que son livre sur la tête.
Bonheur précaire dans la maison. Max brod tandis que Franz fait kafka.
Je milite pour un cynisme littéraire capable de rendre aux lettres leur puissance canine (maximes et maxillaires).
Nous cherchons des lecteurs dignes de leurs dents plutôt que de leurs longues oreilles.
J’achète de plus en plus souvent des livres de complaisance chez un libraire qui les approuve sans réserve.
Pour vous faire une idée de la solitude en province, imaginez deux lubrairues pleines de luvres.
L’Ironiste s’escrimait contre la mouche de son fleuret.
On aimerait offrir plus de littérature aux préoccupations de notre humain conditionnement.
Les éditeurs travaillent pour les pilons de la postérité.
Les conditions de notre humanité se passent naturellement de la littérature.
Ne pactisons jamais avec le lecteur. Coupons-lui la langue, coupons-lui les bras, crevons-lui les yeux. Et piquons-lui ses sous.
Autrefois écrite pour des lecteurs moyens, la littérature est aujourd’hui faite par eux.
Ni mauvais ni bon. Pas de goût.
La plupart des livres de poésie sont aujourd’hui traversés par des soupirs si délicats que les bâillements font désormais partie de l’œuvre.
La dentelle a remplacé le lyrisme ; l’amidon, le travail poétique.
Je ne vois plus que le cordon pour retenir le lecteur en balance au bord du gouffre numérique.
Le lecteur fuit de toutes parts malgré la colle et les rustines (le CNL).
La laideur assidue de la plupart des livres imprimés nous a depuis longtemps préparés à l’uniformité des mises en pages numériques.
Le support numérique est une aubaine pour la littérature. Les grands égouts de la cyberculture charrient vers lui ses eaux usées.
Tant de bons livres portés par autant de lecteurs passionnés devraient me rendre suspects mes dégoûts littéraires.
La ésie a toujours été la grande aphérèse de ma vie.
Qu’on me montre enfin un livre numérique ! (Pour les tablettes, j’ai mon compte.)
La qualité de l’insuccès compense-t-elle le succès de l’indigence ?
Nous la trouverons, notre perle rare dans sa coquille vide !
Nous lirons d’une main et bientôt d’un œil ; enfin, nous marcherons d’un pied.
Reconnaissons que le théâtre de Molière se passe très bien du support papier.
Au lecteur de retrouver la danse à la surface du lac rayé de son petit écran.
Ils ont si peur de suivre leur pente qu’ils freinent même en montant.
L’un tirant l’autre, Gide et moi survivrons au XXIe siècle.
La plus belle des déclarations suffit à faire un livre. « Je t’aime », écrivit-il simplement. « La vie est belle. Je me sens bien. Le monde est beau. La pêche à la mouche est un sport de lézard. » La critique très impressionnée ouvrit de grands pieds.
Livres qui se fredonnent plus qu’ils ne se lisent.
Vous ne vous en tirerez pas comme ça avec des goûts désorientés auxquels votre culture prête un air de boussole.
« …le sentiment ineffable du vertige amoureux. » Certaines formules sentent l’insuffisance rénale.
Ainsi le sot existerait hors de nous ? La sottise qui nous touche ne serait jamais nôtre ?
Je parviendrai un jour à réduire la littérature à l’essence volatile du point d’exclamation.
C’est l’histoire d’un point en quête d’une virgule ; la rencontre eut lieu sans surprise ni péripétie.
La porte qu’il ouvrit dans le roman ferma la parenthèse de sa vie.
Le poète l’a dit. J’ai planté dans mes cendres la fine fleur de mon âme, qui remuait ses longues oreilles.
Leurs livres désopilants nous dispensent de crème à raser.
La liseuse a sur la bibliothèque l’avantage de faire disparaître l’ampleur du désastre.
Je commence à douter de ma bibliothèque. Tant de bons livres ?
Il ne manque à ce livre que la paupière du lecteur.
Le lecteur assis sur son âme digère ses lectures.
L’attelage bovin de la narration traçait son gras sillon de péripéties.
Rien n’indique que le lifting n’élève pas aussi l’âme.
Plus personne ne croit à l’objectivité critique, ni même aux compétences des gens qui s’en réclament, mais les lecteurs s’entêtent à acheter les livres prescrits à échéance, avec constance, docilité et, pour finir, cancer du sein ou de la prostate.
C’est un livre assommant. On y entre comme dans un mur.
L’illusion référentielle a presque autant vécu que sa contestation. Reste la voix de l’épileptique.
Mon plaisir d’acheter les livres surpassant de loin celui de les lire, j’entretiens des relations courtoises avec les librairies indépendantes, dont je pense tout le mal possible.
On ne pourra guère nous accuser de collaboration avec l’esprit de franche camaraderie des acteurs de la chaîne du livre.
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