Le voisinage des sexes (extrait)

La formation avait repris. Je la retrouvais en pleine forme. On bavardait sans rien se dire. On avait bu. C’était le dernier soir. Sur le petit parvis, elle paraissait parfaitement lucide.

– On minaude !

Le mot m’avait saisi hors de mes gardes. Je l’ai pris pour une invitation. Plus tard, elle me dirait qu’elle m’avait laissé libre d’en faire ce que bon me semblait. Son mot n’inférait rien. J’allais choisir une direction. Elle la suivrait ou pas. On minaude, disait-elle, regard posé sur ses genoux. On fait semblant de ne rien dire, on reste prudents. Les mots souvent parlent trop vite.

Je l’avais regardée. Je n’avais rien à dire à cette grande femme aux cheveux en bataille. Je l’ai prise par l’épaule. J’ai approché mes lèvres. Elle n’a rien dit non plus. Elle ne m’a pas semblé d’abord vouloir répondre à la perspective d’un baiser, tout en y répondant, après l’avoir reçu les yeux ouverts. J’avais donné une direction aux prochains mois de notre vie. Aucun de nous ne le savait.

Nos lèvres s’étaient rejointes par touches successives, petits baisers que la langue trouble à peine dans l’attente des baisers qui suivront. On ne minaudait plus. Nos désirs s’éveillaient. Chaque baiser se jetait au-devant de celui qui suivait. Chacun poursuivait l’autre. Ça n’en finissait pas.  

Très vite sa bouche a recherché la mienne. Sa langue me revenait sans cesse. Nos pointes s’affolaient. Nos baisers prenaient la forme de nos deux bouches humides. On s’avalait.

– Donne-moi ta langue !

Elle répondait docilement à mes murmures à son oreille, à mes lèvres sur la ligne de son cou. Elle étirait et me tendait sa peau. J’aspirais et suçais le bâton de sa langue. Mes paumes frôlaient ses joues. Mes doigts cherchaient ses tempes dans le torrent de ses cheveux. Mes pouces redessinaient ses lèvres. Ses mains inépuisables étaient caresse et manque sur le bas de mon dos. Nos verticalités venaient de s’effondrer. Nos corps jonchaient le ciment du parvis.

Mon baiser sur sa bouche avait touché un espace libre en elle. Ses mains dans mes cheveux avaient brisé mon corps. Il faisait doux. Nos langues baignaient dans une même salive. L’été venait à peine de finir. Un rien nous dégrafait. C’était torse contre torse, massage contre massage. On allait vite, on irait loin. On n’en pouvait plus d’impatience après des mois de continence. On s’était côtoyés à distance trop longtemps.     

(Page d’ouverture)