Traduction

1333. Le même et son double

L’incompétence des traducteurs se reconnaît à la traduction même : le texte original y est toujours méconnaissable. Les éditions bilingues proposent au moins une illusion d’optique (en louchant vers la page de gauche).

Inutile de jouer la comédie du vraisemblable. Les effets de réel sont mieux réussis quand l’écrivain tire du réel ses personnages. Prenons Éric-Pessan par exemple (ou Claro). Dirait-on pas qu’ils vivent ?

Plus criant de vérité que la vérité même.

Le même est l’ennemi du semblable.

Tout grand roman relève du genre policier. Mais là au moins, l’énigme de son agencement reste entière.

Nous aurons beaucoup fait pour disqualifier les romans réalistes d’aujourd’hui et leurs personnages en proie à des problèmes existentiels toujours plus ressemblants aux nôtres, sans comprendre que ce romanesque pour lecteur perroquet ne prétend pas dire autre chose que ce qu’il dit. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie à ignorer ce principe. C’est l’histoire d’un homme qui. Rien d’autre.

(Eh, les gars ! J’exige un procès littéraire !)

1239. Traduction originale

Revenons à la traduction. Rêvons-en. Comment éviter le double écueil de l’infidélité et du mensonge ? la première à l’égard du texte, le second à l’encontre du lecteur ? Après murges réflexions, l’évidence : la reproduction scrupuleuse du texte à l’identique est la condition et la méthode d’une traduction parfaite. Prenons ce vers déjà cité et comparons les deux versions.

Le texte original d’abord :

« o, częstochowskich rymów jasnogórska potęgo ».

Le texte traduit ensuite :

« o, częstochowskich rymów jasnogórska potęgo ».

La langue d’arrivée, parfaitement identique à la langue de départ, préserve à la fois le mystère et la fidélité linguistique. Ce que le lecteur perd en compréhension lui est rendu en puissance poétique. Le poème ainsi traduit n’est plus prisonnier d’une exactitude approximative suscitant le dépit du lecteur scrupuleux, il est le poème même dont la beauté d’une langue à l’autre est contenue dans la langue même.

Identique à lui-même, un Polonais aura une perception tout autre du résultat. C’est pourquoi les poètes polonais évitent de se traduire en polonais.

En revanche, le locuteur français, lecteur de surcroît (les deux étant parfois inconciliables), considère que tout poème – comme tout polonais – est d’abord d’incompréhension, ensuite d’approches et d’approximations fécondes (la ressemblance des formes invite aussi à la prudence, un Polonais étant de prime abord un Français comme tout le monde). Ainsi Rymów sent la rime à plein nez (inutile de traduire : plein nez est polonais).

De sorte que le lecteur français, locuteur de surcroît, est face à une alternative sans choix : comprendre qu’il n’y a plus rien à comprendre dans un texte littéraire et enfin admirer la langue traduite à l’identique dans le mystère impénétrable du texte original.

 

1232.

Le roman est une imposture. La vie se lit sans se répéter.

Scène effarante dans La Recherche. Pour faire enrager son père, le petit Marcel couche avec sa grand-mère : « Toi, tu couches bien avec ma mère ! »

Je suis persuadé qu’une langue étrangère élargit la vue, surtout celle qu’on ignore. Vas-y, lance-toi : « o, częstochowskich rymów jasnogórska potęgo ».

 

J’imagine la vie du lecteur condamné aux péripéties des romans qu’il lira en septembre. Aux péripéties et à leur syntaxe.