Marc Sastre

397.

Tu ne rapporteras pas
la beauté d’un coucher de soleil
tu dénonceras son imposture
(27)

 

Dès que les marchands se seront massivement ralliés à la grande distribution de livres dématérialisés vers des tablettes prévues à cet effet, de petits livres
pérennes, à l’image de celui de Marc Sastre, L’homme percé, paru en mars 2011 aux éditions Les Cyniques, concentreront autour d’eux l’attention d’amateurs venus cueillir, sans se
presser, les parutions du jour, auprès de libraires éditeurs diffuseurs, parfois imprimeurs, auteurs, artistes, tout est possible. Le livre retrouvera chez ces libraires de l’Ère nouvelle (de
l’air, de l’air !), la forme tangible de la littérature, loin du romanesque pixélisé
à péremption rapide des
chaînes de montages financiers.

 

L’homme percé de Marc Sastre atteste plus largement une double possibilité : celle d’une poésie engagée, par le regard qu’elle porte sur la condition
du travail aujourd’hui dans ce cas précis
, et la possibilité d’un renouvellement de la conception et de la fabrication des livres.

 

Poésie engagée contre l’aliénation par le travail et l’idée délétère d’une beauté cachée dans le geste et la main qui manie l’outil, le livre de Marc Sastre, rude
dans son lyrisme, est bienvenu dans sa poélitique. Parole intime jetée hors et loin de soi, L’homme percé est proche, par la sollicitude, de la vie ouvrière, dans le même temps
où Marc Sastre, ouvrier lui aussi, s’attache à en dire les limites et les renoncements.

 

Vous tous
miraculés des mines
rescapés des grisous
élus de l’amiante
futurs débiteurs de cancers
lâchez tout !
Quittez l’orgueil du damné
la fierté des petits.
Les derniers n’ont jamais été les premiers
ailleurs que dans les légendes.
(40)

 

Manifeste poétique contre « l’exaltation de l’échec « (44), L’homme percé explore le corps du travailleur, ses replis de chairs suantes, ses
fantasmes inavoués, ses fermentations :

 

Et tu t’assoies sur tes tripes en révolution
tu deviens un ventre actif
une partition de gargouillements
un nœud de liquide
une fonderie furieuse.
La digestion attention
ça ne supporte aucune envolée.
(17)

 

Ce livre vif par sa pertinence est aussi le résultat d’une autre manière de fabriquer des livres. Cinquième recueil de Marc Sastre, qui publie d’ordinaire chez
d’autres éditeurs,
L’homme percé a cette particularité d’avoir été imprimé par l’auteur, maître d’oeuvre de
son élaboration poétique et matérielle, ouvrant dans la foulée un nouvel espace éditorial à des fraternités dissonantes, d’auteurs et de lecteurs, en marge – le fin mot – des circuits de
distribution. Les mécaniciens de la littérature cotée aux CAC 40 apprécieront.

 

Nous serons au plus prêt de l’art
Quand l’outil quittera la main.
(41)

 

Afin, dans un second temps, de reprendre l’outil à notre compte.

 

Poésies au marteau. Donc !