D. H. Lawrence

710.

D. H. Lawrence n’a pas beaucoup changé en vingt-cinq ans. La publication au Bruit du Temps du troisième volume de ses nouvelles, Chère, ô chère
Angleterre
, que je n’ai pas encore pris le temps de parcourir dans la nouvelle traduction de Marc Amfreville, m’a donné envie de reprendre le volume anglais oublié depuis vingt-cinq
ans.

Les ouvertures sont magistrales ; tout y est donné en quelques mots : lieux, personnages, plot, art précis du récit, avant le court-circuit final qui
emporte le lecteur perplexe loin des développements proposés par les pages d’ouverture.

Si chacune des nouvelles illustre de manière à mon sens convenue les nombreux changements intervenus avec la Première Guerre mondiale, opposant nature et
technologie, instinct et civilisation, la force littéraire de Lawrence me semble intacte dans les moments où les différents récits déploient le bref instant édénique des
relations entre hommes et femmes, entre hommes aussi, dans un cadre naturel complice et sauvage, avant destruction (la nouvelle titre) ou sauvetage (Monkey Nuts). Plus encore, la mise en
scène par l’écriture du vitalisme instinctif de Lawrence donne à nombre de ses pages des allures d’incantations.

J’ai retrouvé aussi, dans le symbolisme calculé de l’écriture, ce qui m’éloigne de Lawrence écrivain : son art de la précision a tendance à faire de la littérature le lieu d’une
démonstration là où la monstration suffirait. L’écriture  est comme redoublée par sa portée symbolique.

 

À la lecture de ce volume, m’est revenu pourtant comme une surprise le goût de l’attente narrative. Et après ? Annie Stone tuera-t-elle John Thomas ? Joe
couchera-t-il avec Miss Stokes ? Comment tout cela finira-t-il ?


Il m’a semblé bon, relisant Lawrence, de retrouver cet élan vital qui pousse le lecteur à tourner les pages et à se payer en monnaie de signes.


La formule quasi tautologique de Forster, dont quatre des six romans seront publiés au Bruit du temps à partir de juin dans la
traduction de Charles Mauron, reste finalement indépassable : « Yes – oh dear yes – the novel tells a story. » 

 


Indépassable et – contournable aussi.