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Queneau losophe de Jean-Pierre Martin, livre bilan et livre hommage, nous propose par
transparence l’histoire intellectuelle tout en zigzags de l’exégète et biographe de Michaux (Gallimard, 2003). Du militantisme encagé à la chaire de littérature contemporaine de Lyon-II (+ case
prison et vente de sabots en Ardèche), Jean-Pierre Martin rappelle, avec la mélancolie qui préside souvent aux évocations amoureuses, ce que la littérature française doit au rire de Queneau –
sans oublier ce que lui-même doit à la losophie qui en découle.

 

La losophie, c’est la trompe sans l’éléphant, la Sophia moins l’appareil dogmatique des concepts, les interrogations moins les expositions prolongées au
soleil des certitudes, l’insolence sans l’insolation. Dans le prolongement de certains développements de La Bande sonore (José Corti, 1998), Queneau losophe parachève
l’entreprise de réhabilitation littéraire de l’auteur du Chiendent en montrant avec conviction en quoi Queneau fut un révolutionnaire sans révolution dans la littérature française, un
losophe court-circuité par son refus même des systèmes, faisant du rire contraire aux habitudes du milieu littéraire l’instrument biseauté d’une interrogation sur les questions premières de
l’existence, tout en portant au cœur de la littérature le ver à soie de la désacralisation. Aveuglée par sa réputation de plaisantin, la postérité semble ainsi avoir oublié de lire
Queneau, abandonné sur la piste, nez rouge et pantalons bouffants (de nombreux lecteurs ne connaissent en réalité de lui que le film de Louis Malle). « Dans le ciel sublime des
belles-lettres, on préfère les graves, les sérieux, les tragiques, les maudits, les noirs » (p. 146).

 

Dialoguant de façon informelle avec Queneau son ami, au point de partir avec lui en tandem imaginaire dans la France des congés payés, Jean-Pierre Martin évoque sa
propre vie à travers ses lectures, superposant ses expériences à celles de Queneau, sur la paternité notamment – et la sincérité, « qui est une erreur quand on veut faire artiste »
(p.131).

 

Ce livre inattendu, toujours intelligent et sensible, fade en quelques rares endroits où l’écrivain renonce à faire de la littérature, nous invite avec
douceur, « à mettre du lait dans notre nihilisme » (p. 135), autre nom de la volonté de puissance et de contrôle, « proposant une réconciliation du verbe de l’écrivain et du verbe
des hommes ».

 

« Si aigu qu’ait été son sens du burlesque, il ne s’agissait assurément pas de tourner la littérature en dérision, mais, en toute honnêteté artisanale, de la
remettre à sa juste place – une place au demeurant des plus solides lorsqu’on ne se fait plus sur elle aucune illusion romantique. »

 

– Je vous laisse découvrir page 140 du livre de Jean-Pierre Martin l’auteur de ces lignes sur Queneau mon ami.