Mon chat Le Chat (extrait)
(Un chant)
[…]
V
Soudain c’est toi. J’entends tes miaulements. J’ouvre la porte et tu es là. L’instinct en moi te trouve. Tu ne m’as pas quitté. Tu es resté en moi. Je te sens chaque jour. Tu te colles contre moi. Tu marches à mes côtés. Les heures stagnent ou défilent, chaque jour fournit sa dose de remède et de désespoir.
Le soir, je me retranche. Je me replie vers la maison. Je ferme les persiennes. Je tire les rideaux. Je verrouille les portes. Je fuis chez moi. Je fais le noir.
J’apprends à faire le mort. Les murs me tiennent. Je me couche contre eux. Je m’endors à la verticale. Le manque me tient lieu de tombeau. Je suis bordé. L’amour de loin et sans personne, c’est encore de l’amour. Le manque ne me manque pas. Le solde est positif. Je suis comblé.
Je t’ai perdu. Je ne te retrouve pas. Je suis le mausolée de ton absence.
[…]
VI
C’est ta première nuit en tombe. Je vais t’accompagner. Je t’ai couché dans cette parcelle creusée pour toi. Je vois ta position. J’ai planté en septembre un gazon dont les racines viendront te caresser.
Je me répète. C’est la fatalité des bègues et des désespérés. Rien ne pourra se vivre deux fois, sauf l’émotion qui m’accompagne. Prenons racines dans la sève du monde, ensemble et impuissants. Nous sommes séparés malgré la terre qui nous reste commune. Tout au bord de la tombe, l’amour est sans pourquoi dans notre vie ensemble. Il n’y a plus personne. Il y a toi, il y a moi.
[…]
XIV
Notre consolation enterre les morts trop vite. Prenons ce temps ensemble, mon chat. Arrêtons-le encore un peu. Ayons le courage d’être tristes. Nous n’en serons que plus fidèles au temps qui passe et nous disjoint.
En attendant, je vois que tu fleuris. Tu prends la forme végétale du jardin tout entier où nous avons passé de longs moments à regarder ce qui de la vie passe et de la vie nous tient ensemble.
Le désespoir nous guérira sans nous rendre moins tristes. La mort n’est pas une maladie. Elle est la vie poursuivie autrement. Une fois et rien de plus. Il n’y a pas de rab. Ce n’est pas rien d’avoir déjà vécu si bien ensemble, un chat, un être humain.