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1309. Ruse et vaseline de Permunian

F_Permunian_La maison du soulagement mentalLa colle n’est rien. L’encre est tout. J’abjure. Je me reconvertis.

C’est peu dire du livre de Francesco Permunian qu’il est un soulagement pour le lecteur en rade promis au seul espoir d’une guérison posthume. Quel plaisir sans mélange ! Quelle résurrection ! J’ai ri, j’ai jubilé – le dirai-je ? – J’ai joui. De bout en bout, de page en page, de récit en récit, ce livre est un miracolo. Un evento straordinario. La Vierge existe. Les paires de courges mammaires existent. L’arbitraire logique et scientifique existe. Guido Ceronetti existe. La folie littéraire vient d’être réinventée.

« Donner de la joie est un rude métier. »

La maison du soulagement mental raconte (raconte) le monde en raccourci d’un asile d’aliénés où le lecteur a une place à prendre. La prendra-t-il ? Le livre explore l’espace du dérèglement littéraire, réfractaire à toute cartographie, où se rencontrent la rêverie et le réel,  le mot et sa désignation, le subtil et le fantasque. Dans un déversement à flots continus de personnages monstrueux et de situations comiques, et servi par une langue sans repos, immodeste et drôle, ce livre provoque la stupéfaction, l’admiration et la reconnaissance. La vie est donc encore possible ! Coprophile, poupées gonflables, fantasques surnuméraires, femelles lubriques, urineurs sacrilèges, aspirants cryogéniques, découpeurs de viande humaine, érudits  hébéphrènes, sanguinaires historiques, fous domestiques, Zigotos, Mutilés, pédophiles, ces petits personnages sympathiques vous distrairont de votre ennui en composant pour vous des « petits spectacles de variété asilaire », livrés à domicile, avec soutien du CNL, dans un joli volume collé (séchons le sang de nos querelles). Le goût pour la provocation, par ruse ou vaseline, s’y déploie avec naturel, et plus sérieusement que le scandale auquel il ne saurait être réduit.

Ce livre est grand, presque aussi surprenant par instant que celui de Cervantès, moins ample dans le déroulé sans doute, mais d’une tenue et d’une tension, d’une surprise surtout, qui transforme le texte, parfois traversé par des clichés de traduction, en fiction grandiose, c’est-à-dire, en une langue. Tout commence par une injonction divine : Que l’Esprit soit. Mais l’esprit fuit et la mort vient lentement, rendant possible l’invention littéraire. L’écriture naît de ce mouvement de la vie qui s’éloigne. Mon plaisir aura été égal à celui que j’ai pris récemment à la lecture du Maître et Marguerite, jamais lu, du génial Boulgakov, auquel Entre fous de Jean-Luc Coudray, chez le même éditeur, pourrait aussi être rapporté sans exagération. Plusieurs figures de cervelles fractionnées par le génie traversent ce livre : Artaud, petit bourgeois de Marseille ; Kokoschka et sa poupée Malher ; Guido Ceronetti, marionnettiste fantasque et poète méconnu. Sa photo, page 28, illumine le livre, qui en serait d’abord le prolongement, et puis le préambule vers d’autres livres et d’autres figures.

Faut-il raconter et redire ce que ce livre raconte ? Faut-il coller au texte un texte second ? Vous aimez les protège-cahiers ? Ma recommandation ne serait pas un gage en soi ? M’avez-vous vu brader mes goûts et monnayer mes enthousiasmes ? Prendre des poses indécentes dans Le Matricule des transes  ?

– Tu m’as vu sucer mon pouce en public ?

Non.

Je suis bon rieur, je l’admets. Je ris facilement. Je ris gros. Mais rarement d’une écriture en flocons d’avoine et en sucre vanillé. Je préfère le rire des dieux endormis que la surprise réveille.

Achète ce livre, le cœur ouvert, Lecteur. Ça te fera prendre l’air. Tu en seras content. Si d’aventure l’histoire t’ennuie, revends ton exemplaire à Claro (je crois qu’il a oublié le sien à Bordeaux).

Le rire est rare. Ne te trompe pas de livre.

Francesco Permunian, La maison du soulagement mental, l’Arbre vengeur, 2015

 

1308. Rose moiteur

Je comptais lancer un débat orthographique. Il n’aura pas lieu. Correspondance avec l’ennemi est un livre piégé. Nous y avons laissé 13 fautes d’orthographe + une indécidable en 4e de couverture. Notre hommage à Pivot. Aucun grammairien ne s’est laissé tenter. Qu’en déduire ?

Sept chroniques, un articulet dans Le Matricard dérange, et pas un chroniqueur pour en parler. On vous l’a dit. La complaisance et l’incompétence ne seront jamais prises en défaut chez les critiques littéraires.

Dans une chronique qui frise l’autophagie lyrique (je me mange car je m’aime), un Monsieur Guillaume au patronyme moliéresque tourne autour de lui-même avec tant de passion qu’on pourrait croire qu’il cherche à s’enculer. Mais non. Il a ailleurs ses entrées. La revue L’infini lui sert de chausson. Sa complaisance a la même qualité. Non seulement ce Monsieur Jourde de la critique vante les mérites de ses propres écrits, « je trouve une belle mise en abîme de mon propre texte on line », mais il pousse l’incompétence jusqu’à louer la facture de cette Correspondance visiblement bâclée par l’Imprimerie Graphique de l’Ouest. Ouvrir les yeux parfois suffit. Contrairement à ce que suggère ce nouveau cyclope, ce sont souvent les petits éditeurs militants et fauchés qui délocalisent, rarement les « éditeurs industriels ». Imprimé en France, le dernier livre de Guillaume Musso est très beau, même sans fil.

La librairie française de Berlin où j’irai bientôt prendre des leçons de courtoisie répondait récemment  la chose suivante à notre courageux diffuseur :

Chère Madame,

À la suite de votre passage en librairie, nous revenons vers vous concernant le service de presse du livre Vingt sonnets à Marie Stuart que vous nous avez fait parvenir.

Malheureusement, cet ouvrage ne présente pas un potentiel commercial suffisant au regard des caractéristiques de Zadig.

Par conséquent, nous vous proposons de passer à la librairie pour venir le récupérer.

Bien à vous,

Signature illisible

La vie est rose dépecé.

1307. Laurel et Hardy

Amazon perçoit des aides de l’État pour la création d’emplois en Saône-et-Loire. Les libraires crient au scandale.

Les petits éditeurs militants exploitent la main-d’œuvre bulgare avec soutien du CNL. Les libraires collent des post-it enthousiastes.

Ils préfèrent Laurel sans Hardy.

La rumeur enfle : les éditeurs qui délocalisent seront privés de CNL.