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1315. Venin de compagnie

Claro, Dans la queue le venin, l’Arbre vengeur, Couverture de Joko,  2015

Dédicace Claro Iconodoule  1Qu’est-ce que c’est que ce livre dans son œuvre : une rognure d’ongle, l’empreinte de l’homme qui a marché sur la Lune, le dernier livre de Claro ? J’ai pris ce livre, je l’ai feuilleté, ouvert, fermé, parcouru, reposé, cherchant une raison de le lire, de ne pas le lâcher, de me réconcilier avec la bonne littérature de compagnie. En plus, il est dédicacé et l’éditeur a omis de me le faire payer. J’espère qu’il se ravisera. J’ai lu les recommandations de couverture : « Pour elle, les hommes n’ont qu’à bien se tenir… et bien la prendre ». Je reste froid face aux femmes dilatées et aux pipes faciles (sauf si elles ont la tête de ma grand-mère quand elle était jeune fille). Le bûcheron s’accroche à sa cognée. J’ouvre donc – et je lis.

Je referme – et je médis.

Convaincu du pire.

Qu’est-ce que ce livre en marge de ce que fait Claro, chez Actes Sud depuis quelques années ? Un défibrillateur ou une conscience postiche ? Des marges au centre, c’est vérifié, Claro est désormais partout le même. Actes Sud l’a tué. Les lois du commerce sont aussi péremptoires que les sondages où se mesure l’évidence des goûts démocratiques.

La page d’ouverture.

« Dans l’avion qui l’emporte, que dis-je, qui la transporte jusqu’aux portes d’Istanbul, la fringante Pomponette Iconodoule – et je te jure, lecteur, que c’est là son véritable alias ! – s’interroge. Et par là même interroge en elle tout locataire d’ici-bas voué aux errances. Elle se demande bien, se demande mal aussi, pourquoi elle a choisi, en guise de destination, pour ne pas dire de destinée, Istanbul plutôt que Culmont-Chalandrey ou Chicago, quand soudain ! cliqueti cliqueta ! un bruit de glaçons qui dansent, de bouteilles riquiquis qui cliquettent (tels de tintinnabulesques clitoris, pense, musicale, Pomponette), le frou-frou celluloïdal de micro sandwiches emballés, les puissants bâillements des journaux internationaux déployant leurs ailes mouchetés de caractères noirs et boursiers, bref, une symphonie qu’aucune baguette ne saurait dompter et qui s’accompagne d’une ola d’affamés humains entassés dans l’habitacle de l’avion : () »

Il arrive qu’un pilote rate son décollage. C’est souvent dommage pour le voyageur, beaucoup moins pour les croque-morts. Le voyage se poursuit dans le mur. Crash-test à venir.

Quand un écrivain rate son décollage, c’est sans importance. Inutile de lui demander de faire demi-tour en pleine montée sans oxygène ni de récrire intégralement ou par morceau son livre. Gardons l’unité de la déroute, se dit l’éditeur. Fourguons au prix fort un voyage à Bakou, ajoute son comptable. Nos amis de la critique feront passer les cahots sur la piste pour un style de conduite. Une équipée dodue et sans entraves. Demandons au lecteur de défaire sa ceinture. Jouissons dans les betteraves !

Dans ce décollage raté – à l’image de l’ensemble du roman où se retrouvent les mêmes procédés d’amplification exorbitée (gros yeux et moustache turque) –, l’écrivain pilote par automatisme, passant du loupé au looping et inversement ; comptant peut-être sur le crédit acquis grâce à d’autres livres, il débite les figures imposées par la littérature de genre (San Antonio et Brèves de comptoir). Le lecteur a payé le livre et fera bonne figure, betcha !, plutôt que d’avouer sa mauvaise fortune. (Peu de livres achetés sont réellement lus. Personne ne proteste contre un mauvais livre. La critique littéraire a réinventé le roman courtois. Les mécontents sont des jaloux.)

C’est donc un livre bien raté. Rien d’étonnant. Claro est passé maître dans l’art du recyclage de Beckett et Deleuze, littérature et philosophie, maîtres penseurs et maîtres chantés, dont son blog récite la leçon du ratage et du faux-pas.

(Le faux mouvement révèle souvent un mouvement faux. Et inversement.)

Claro joue la facilité avec brio. Les papis rient. Les mamies rient. Il fait du sur-place en agitant  les bras, en pédalant des jambes. Il a perdu le goût des pentes mais pas de la fanfaronnade (Actes Sud, les boulingrins, la Côte). Ses œuvres sont devenues des comédies catastrophe. Jean d’Ormesson, attaqué dans son blog en pure perte bien souvent, est presque aussi brillant que lui dans le registre Mon épée pour une pépée. Zeller et Moix sont autant de fausses cibles obligatoires et désignées par le positionnement que Claro occupe aujourd’hui dans l’espace littéraire, entre marge et centralité – bientôt pope du bon goût, façon Echenoz et Rolin (barbe en prime). À quoi bon s’attaquer aux saltimbanques des grandes et moyennes surfaces ? Dézinguer les danses folkloriques de Jérôme Ferrari serait plus utile pour défendre d’autres approches de la littérature, mais moins judicieux (mon ami Goucourt).

Dans la première page de ce livre à très belle jaquette (Joko est à ravir sur une île sans Iconodoule), le registre du jeu de mots écarquillé impose immédiatement sa loi (bien/mal, destin/destinée). Rien dans la suite du livre, feuilleté ici et là, ne viendra plus la contester : ouvrez le livre au hasard (possible/probable, Pompéi/ Pomponette, Marmara/murmure, etc.). Ce jeu de substitution homopho(nique ta mère) est coulé dans la page bétonnée. Ça marche à tous les coups. Il fera toujours beau dans l’œil d’une mère au fond des soies. Quand ça ne marche pas, la connivence émoustillée reprend le lecteur en main. Parler dispense d’écrire : je plaisante et badine avec toi au lieu de te boxer la gueule et de chier sur tes certitudes narratives. À longueur de blog, pourtant, Claro exhibe ses biceps de déménageur, en véritable redresseur de torses et de hernies. Mais dans son œuvre, c’est gants de mousse et pichenettes sur le naze : « Le Turc est un Arabe qui aurait mérité d’être juif mais qui finira Européen (tant pis pour lui). » J’imagine que cette rhétorique œcuménique fait frissonner les dentistes qui le lisent et que les infirmières en mouillent leur jugeote. À leurs moments perdus, ces lecteurs doivent faire barrage de leurs cors aux pieds au méchant FN autour duquel s’articulent depuis 30 ans, grâce à eux, les débats politiques. Dans la queue le venin est d’évidence un livre popolitique en direction des cuculs. La bonne conscience de cette gauche désamorcée est résumée par ce genre de formule tellurique.

– C’est Salesman Roche, je vous dis !

La belle maquette du livre lui fait au moins une mince djellaba littéraire. Du cousue main et de l’exotisme !

Je n’ai pas d’explication pour ce type de publication. Il doit être difficile à un éditeur de refuser le livre qu’il a commandé, même si de larges extraits traînent sur le Net depuis 2008.

Il s’agit sans doute d’un malentendu doublé d’une cécité amicale de la critique.

Hugues Robert, pour Charybde2, est en pilotage automatique lui aussi : « Cette écriture-là, parvenant à se tenir à distance tant de la pornographie que de la mièvrerie, n’est déjà pas une mince affaire. » Certaines tournures négatives traduisent un malaise, une réserve inconsciente, un moment d’incertitude personnelle. Je les repère immédiatement. C’est aussi mon métier dans la vie. Je débusque les négativités factices et les embrouilles véritables. Elles sont nombreuses. « (…) il s’agit d’un conte, le ton enjoué et les contingences tenues à distance ne nous le laissent pas oublier. » Resterait à savoir si le lecteur s’en rend compte ou s’il se force à rire.

(Je compte relire attentivement les articles que Hugues Robert consacre si généreusement à nos livres, à ceux d’Éric Pessan et à des centaines d’écrivains. Le génie littéraire ne semble plus avoir de limites sous sa plume.)

Quand un critique n’a rien à dire d’un livre, de sa facture, de ce qui fait ou défait sa dimension littéraire, il en raconte l’histoire, les thèmes, le contexte, la réalité enrichie de sa non-lecture. Car la plupart des critiques font comme moi. Ils ne lisent pas les livres et ne commentent que les plus mauvais parmi ceux qu’ils ne lisent pas. Rien à en dire en tant de lignes, mais avec justesse.

C’est dans l’entre-ligne inconscient du texte de Pierre Maury (Le Soir) que s’exprime le commentaire définitif sur ce livre de Claro que je vous conseille d’offrir aux passagers de la Lufthansa : « … et bientôt il ne reste qu’à se dire tant pis, ou tant mieux, car on a beaucoup ri de cette aventure»

Pierre Maury rit.

Qu’un lecteur au regard aussi émoussé que celui de Pierre Maury (rit) puisse encore avoir une tribune dans la presse belge, que je croyais épargnée par la mièvrerie, signale le caractère irréversible des dégâts. (Il faut dire aussi que je ne la lis jamais.)

Allez donc faire demi-tour avec un Airbus.

(L’A. Lubitz touch)

Claro, Dans la queue le venin, l’Arbre vengeur, Couverture de Joko,  2015

Bonus : Un jour, je lirai ce livre.

Bonus 2 : Python venin, tu t’le mets au cou


1314. Plates formes d’écriture

Les blogs ne manquent pas. Les lecteurs, c’est une autre histoire.

Les plateformes d’écriture en ligne font florès. Je lis ici et là qu’elles sont un espace idéal pour les écrivains recalés de l’édition traditionnelle (la sélection, le copinage, la recherche du coup). Les illettrés qui alimentent ces plateformes de leurs écrits légitimes et enthousiastes y voient une perspective. La littérature s’élabore sous le contrôle des lecteurs, eux-mêmes contributeurs. On passe de la tutelle des pères à celle des pairs. Les choix se font à la majorité des voix. C’est du réglo. Le livre sorti du lot est ensuite diffusé par un éditeur, généralement en place, gonflé au numérique. Les écrivains retombent ainsi dans ce qu’ils espéraient quitter. La perspective finit dans le rétroviseur. Les pairs assurent le filtre, le client rapporte son caddie, et seuls quelques auteurs accéderont à la publication. Les autres sont déjà de retour sur la case départ, devant la machine à affranchir les manuscrits.

Pourquoi pas. Je n’ai rien contre la célébrité, les gares, les distributeurs de chips, les voies de garage. Je les trouve socialement utiles. Machins et machines font en douceur œuvre de salut public. Il est rassurant dans une démocratie plus ou moins participative que le médiocre serve la mesure et la soupe commune. L’homme est né libre et égal à lui-même. L’accord se fait sur ce qui plaît au plus grand nombre et ce qui plaît se révèle être globalement bon. L’école, les routes, les hôpitaux plus ou moins surchargés, Vigipirate, France Inter, le vote électronique, les derniers livres de Philippe Annocque.

Tout cela est supportable. Il existera encore longtemps des éditeurs qui renonceront à proposer Stendhal, Joyce, Proust, Schmidt ou Chevillard à la majorité des voix.

La plupart des gens qui lisent et écrivent rêvent moins de publication et de littérature que d’une reconnaissance majoritaire dans laquelle leur existence incertaine a besoin de s’ancrer. La littérature est une extension parmi d’autres du réel numérique en vigueur. Anna Todd l’emporte haut la main sur Ana Tot. Le contraire ferait craindre pour la démocratie. Le désir d’être publié, qui s’exprime dans un grand nombre de blogs aujourd’hui littéraires, se nourrit de ce malentendu sur la création. Comme ici.

« Mais Wattpad me montrait qu’on pouvait écrire sans être écrivain, et donc j’ai eu l’idée de me lancer. »

 

Pouce en poupée

Avez-vous lu Pierre Girard, un Suisse ?

Comme Dieter Roth, autre Suisse.

1313. Stallone vit

 

 

Un film de Brice Vincent.