Marge occupée

69.

Les différences sont minces d’une époque à une autre.

 

Un peu d’imagination suffit.

 

– Au maquis, au maquis, hurlait David Marsac, en balançant sur la milice les invendus de Marge occupée.

 

Dernier effort désespéré pour faire vivre la littérature française.

53.

Apparemment, Marge occupée n’est pas le livre que l’on verra cet été sur les plages du débarquement.

À la place, lesmêmes litanies bordées de crème solaire que l’an passé.

À l’exception, pourtant, de deux lecteurs sur l’île déserte de leur serviette éponge lisant sous parasol les poèmes expansés de Sylvie Nève, aux éditions Trouvères & compagnie, et le théâtre de Fabrice Melquiot, aux éditions de l’Arche.

Un Pont de Normandie pour réunir ces naufragés perdus entre romans et biafine.

(Envoyez-nous vos dons par chèque ou par écrits.)

35.

Feuilletant Marge occupée dans une librairie où il figure en bonne position sur la table du libraire ami, un lecteur s’indigne d’un jeu de mots associant le nom de Jean Paulhan à celui de Gestapo.

Je suis dans les parages.

– Que personne ne bouge ! Qui a crié « Gestapaulhan » ?

S’ensuit une discussion entre le libraire, qui cherche mon regard fuyant, et ce lecteur bien informé.

– Jean Paulhan n’a jamais fait partie de la Gestapo. C’est de la calomnie. La fiction a bon dos. Tout n’est pas permis.

En qualité d’éditeur de l’ouvrage en question, Marge occupée de Jean-Charles Lévy (ça m’apprendra à publier des livres que je ne lis pas), présent chez sept libraires en France et dans le monde entier, témoin piteux de la conversation, je garde un profil bas, tout en accélérant, clip, clap, clop, en direction de la sortie.

La main sur le loquet (la mienne, le sien), le libraire m’interpelle d’une voix musclée :

– Qu’en pensez-vous David Marsac ?

« Aïe ! Aïe ! Aïe ! » (avec liaisons.)

 

À ma décharge, Monsieur le Procureur (l’époque est sourcilleuse et a tôt fait de vous coller un procès au cul – voir livraison d’hier), voici deux citations où Jean
Paulhan pratique l’ambiguïté à une échelle au moins équivalente.

 

1. À propos de Céline, Jouhandeau et Drieu, interdits de publication à la Libération, Paulhan conclut un long passage apologétique ainsi : « Ils nous
manquent, et ça se voit. Ah, je voudrais être juif, pour dire – avec plus d’autorité que je n’en puis avoir – que j’ai pardonné à la France, une fois pour toutes, son impuissance à me défendre.
Je voudrais être juif pour travailler – avec plus de force que je n’en ai – à rendre à la France toutes ses voix, toute sa voix. Je voudrais être juif pour devenir le meilleur des
Français. »

De la Paille et du grain, Gallimard, 1948, p. 58.

 

2. Sur Bardèche et Benda, dans une réponse à Claude Morgan : « La conclusion qui s’impose, il me semble, à tout esprit normal, c’est que M. Bardèche et M.
Benda font chacun une bonne moitié de patriote. Il suffirait de les combiner pour obtenir un Français complet. »

De la Paille et du grain, Gallimard, 1948, p. 170-171.

 

– C’est un peu comme si l’on disait aujourd’hui que Le Pen et Cohn-Bendit sont les deux versants de la France politique, qu’Éric Chevillard et Alexandre Jardin les
quatre piliers de la littérature française, que Robert Faurisson et Annette Wieviorka forment les deux pans de la recherche historique. Que la mer vaut le bocal (point de vue du poisson).

 

On n’a jamais été aussi marron que sous l’Occupation.