Fiction

221.

– Comment vous dire,  aborder la question, vous faire savoir que j’ai,  enfin que je, qu’il m’arrive de, disons que, eh bien oui, c’est ainsi, pourquoi le taire, goûts et coulures imprescriptibles, n’en faisons pas mystère, disons-le, avouons – l’avouerai-je ? – j’aime, oui, j’aime, que dis-je, j’idolâtre Georges Duhamel et sa Chronique des Pasquier. Le notaire du Havre et Le Désert de Bièvres emportent mon adhésion la plus inconditionnelle.

Dans le miroir de sa salle de bain, David Marsac se sentit soulagé d’avoir cracher le morceau afin de dissiper tout malentendu posthume entre lui et la littérature contemporaine.

(Dans le lavabo : sa dent.)


220.

J’aime les livres où la littérature se donne pour artifice, où le récit tourne au procédé, où la phrase constitue toute l’intrigue, où les personnages ont l’épaisseur du papier imprimé, où le réel s’ajuste à la lecture, où le flux coule et rien ne reste, où l’émotion est lexicale, où le lecteur ne cherche ni père, ni mère, si souvenir d’enfance, où le libraire n’ose pas coller ses papiers tue-mouches, où l’auteur refuse de passer sur France-Inter (où l’auteur se dit quand même France-Inter fluidifie les ventes), où l’écriture tient lieu de style, où la vie est tenue à l’écart –:– car la vie est trop précieuse pour être confiée à la littérature.

Son art poétique achevé, David Marsac se recoucha et s’endormit heureux, après s’être brossé une à une la dent.


97. Claro, Gondolier

cozmoz_claro– Enfin Claro vint. Éclat rOZ dans ma vie, chantait David Marsac, amoureux – ou quasi.

Puis cinquante pages plus loin, 22 euros et quatre-vingt centimes…

Ça partait bien pourtant, une fois passé le préambule, la mise en transe, le petit trot pour l’échauffement. On arrive à la scène d’ouverture, notre hérOZ sur le billard, pages 20 à 30. Air connu, du Claro dans son jus, de la bibine pour connaisseur. Ça fuse, ça danse, du kick boxing en haut-de-forme ! Quelques lenteurs ici ou là mais –

Du ClarOZ plein la vue !

– Ah Claro ! Comme je t’aimais alors, hurlait roux de chagrin, David Marsac sur son vélo sans roue auquel manquait une selle.

Le pire, Claro, c’est que l’OZ à ronger que tu nous sers pour du Claro ressemble à du Claro absent, du sous-Claro proche de zérOZ, du faussaire de soi-même, de l’épouvantail à ClarOZ.

(Ici David Marsac évaluait les chances d’une rixe lors du prochain salon du livre.)

Et puis, dès la page 30. Allo ? Allo ? Claro ? Le service après vente ? Quelle foutrasie patraque, ton bidule enchanté – les polders à côté ont l’air de montagnes russes !

– Tu t’es reconverti à l’homéopathiOZ ?

Quelle impatience aussi de t’embourber dans les marais de la fiction, du récit, raconter-une-histoire, sympathiser avec ton lectorat.

– Tu étais fait pour la voltige, Claro, s’époumonait David Marsac en agitant le volume de Madman Bovary. Fil-de-fériste féerique à deux cents toises dans les nuages, entre Le State Building et La Grande Dame Torchée. Et sans filet !

Dans un roman, je ne lis jamais l’intrique. Les histoires ne m’intéressent pas. J’ai des voisins pour ça.

– Alors, explique ? s’impatientait David Marsac, tête dans le plâtre du mur. Ils t’ont dit quoi chez Actes Sud ?

– Ils t’ont promis la Lune ?

Je te l’aurais donnée, Claro. Elle m’est chaque mois livrée à domicile.

– Alors ? Pour quoi ?

Pour rien ?!… Pour le Gongon ?… Et c’est pour ça qu’à la radio, sur France-Culture, tu étais tout gentil, poli, premier de corvée, « Cinq ans pour écrire mon roman et me documenter, me tenir à Claro » ?

– Ça te plaît France-Culture ?

(Je lui pardonne s’il le décroche, son prix Goncourt. Voyons tout de même ce qui se passe après la page 60, se dit David Marsac, plus impartial qu’intéressé.)

 Claro, CosmoZ, Actes Sud, 2012