Brodsky

1012.

 

Le projet mûrissait. C’est aujourd’hui fait. Ils verront le jour.

 

 

Les Vingt sonnets à Marie Stuart de Joseph Brodsky paraîtront à l’enseigne ravie des Doigts dans la prose prochainement dans une édition en quatre langues, dont deux françaises :

 

le texte russe de Joseph Brodsky ;

la traduction anglaise de Peter France et l’auteur ;

la version française de Claude Ernoult, publiée par Gallimard ;

la version d’André Markowicz, qui y ajoute une postface.

 

La traduction d’André Markowicz avait initialement paru à l’hiver 1987 dans la Lettre internationale à l’occasion du Prix Nobel de littérature décerné à Joseph Brodsky. Fondée en 1984 par Antonín Liehm, l’édition française de cette revue diffusée dans toute l’Europe disparaissait en 1993 malgré quelques tentatives de survie. La version de Markowicz s’est mise alors à circuler auprès d’un cercle d’amateurs patients parallèlement à celle que publiait Claude Ernoult dans le volume Poèmes 1961-1987 aux éditions Gallimard.

Pleine de fougue et de jeunesse, la traduction d’André Markowicz était restée inédite en volume. Le petit éditeur, qui la révère depuis vingt ans, tout en pratiquant dans le même temps la version classique de Claude Ernoult, est très heureux de cette renaissance éditoriale, fruit d’une longue patience.

 

Peu connu des lecteurs, ignoré par la critique française, Joseph Brodsky a toute sa place dans notre maison d’édition qui aime la jeunesse indocile et plus que la jeunesse la littérature qui se cabre et rue. Nous sommes certains que ce petit volume trouvera un accueil fanatique auprès de lecteurs enfin réconciliés avec la poésie.

En offrant au public cette superbe séquence poétique sur l’amour et l’exil, la littérature et l’histoire, la nostalgie et la mémoire, ce livre proposera plusieurs cheminements d’une version à une autre afin de faire toucher du doigt une vérité inattendue : la traduction est le principe premier de la littérature. L’écrivain ne cesse de se traduire dans sa propre langue, d’une langue à l’autre et d’un texte au suivant, afin de créer un espace dédoublé où dialoguent le réel et le texte, l’élan créateur et sa traduction en mots. Si la littérature se définit par ces sauts incessants à l’intérieur et hors des frontières de sa propre langue, le traducteur littéraire n’est plus simplement au service d’un texte à transcrire : il doit créer, par son travail, la langue originale d’un nouveau texte originel.

 

Nous avons acquis les droits des quatre versions pour un tirage unique de 1000 exemplaires. Le livre pourra être vendu dans le monde entier à l’exception de l’Amérique du Nord. Le prix de vente sera de 18 euros, le bonheur de la découverte sans prix. Les frais d’impression en France par des ouvriers réunis en SCOP coûtent autant que les droits. Le graphisme est assuré par Anne Milet de l’Agence Atribu. André Markowicz nous accorde sa confiance, une jolie postface et son concours pour la supervision du texte russe.

 

L’intelligence inestimable des lecteurs nous semble déjà acquise.

 

Est-elle belle la rentrée littéraire !

 

(Sortie prévue en novembre 2013, puis repoussée à janvier 2014, les aléas)

1002.

Repas-du-Nobel---copie

 

 

 

 

 

 

 

 

Joseph Brodsky au banquet du Nobel (Photographie publiée dans Libération en janvier 1996, © inconnu).

 

Célébrons à notre manière la belle Marie.

Twenty Sonnets to Mary, Queen of Scots
Copyright © 2000, The Estate of Joseph Brodsky

 

           (XIV)
Любовь сильней разлуки, но разлука
длинней любви. Чем статнее гранит,
тем явственней отсутствие ланит
и прочего. Плюс запаха и звука.
Пусть ног тебе не вскидывать в зенит:
на то и камень (это ли не мука?),
но то, что страсть, как Шива шестирука,
бессильна -- юбку, он не извинит.

Не от того, что столько утекло
воды и крови (если б голубая!),
но от тоски расстегиваться врозь
воздвиг бы я не камень, но стекло,
Мари, как воплощение гудбая
и взгляда, проникающего сквозь.



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992.

      “…let me mention here something else—something that I have in common with Adolf Hitler: the great love of my youth, whose name was Zarah Leander. I saw her only once, in what was called, then and there, Road to the Scaffold (Das Herz einer Königin), a story about Mary, Queen of Scots. I remember nothing about this picture save a scene where her young page rests his head on the stupendous lap of his condemned queen. In my view, she was the most beautiful woman who ever appeared on the screen, and my subsequent tastes and preferences, valid though they were in themselves, were but deviations from her standard. As attempts to account for a stunted or failed romantic career go, this one feels to me oddly satisfactory. Leander died two or three years ago, I think, in Stockholm. Shortly before that, a record came out with several Schlagers of hers, among which was a tune called “Die Rose von Nowgorod.” The composer’s name was given as Rota, and it couldn’t be anyone else but Nino Rota himself. The tune beats by far the Lara theme from Doctor Zhivago; the lyrics—well, they are blissfully in German, so I don’t bother. The voice is that of Marlene Dietrich in timbre, but the singing technique is far better. Leander indeed sings; she doesn’t declaim. And it occurred to me several times that had the Germans listened to that tune, they would not have been in the mood to march nach Osten. Come to think of it, no other century has produced as much schmaltz as ours; perhaps one should pay closer attention to it. Perhaps schmaltz should be regarded as a tool of cognition, especially given the vast imprecision of our century. For schmaltz is flesh of the flesh—a kid brother indeed—of Schmerz. We have, all of us, more reasons for staying than for marching. What’s the point in marching if you are only going to catch up with a very sad tune?”

Joseph Brodsky, Spoils of War, in On Grief and Reason, Farrar Straus Giroux, 1995, pp. 10-11.