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Je doute que nous puissions désosser le lecteur aussi facilement qu’un poulet du dimanche, un bras, une jambe : essayons tout de même.

 

J’assistais l’autre jour à un échange dont seules les librairies indépendantes gardent l’exclusivité. Une adolescente raisonnable interroge la libraire sur un
cadeau possible pour sa copine. « Marc Levy ? Sinon, il nous reste du
Guillaume Musso. » Réponse distraite,
sans même lever la tête. C’était une femme comme ça, chétive, sans plus, affligée de lunettes et d’un petit gilet, qui rempilait des tas. J’aurais pu en venir à bout d’un coup sournois dans les
genoux, avant de piétiner les restes de la très-amochée qui avait cru vainement pouvoir trouver refuge derrière les piles des nouveautés – mais rien. Je n’ai rien fait, si peu, continuant à
renifler le dernier livre de Nicolas Pesquès, l’air d’un qui flâne. Pas trop de risque qu’on me le fauche. Le faire mettre de côté ?

 

Le roman s’est à ce point fondu dans le flux de nos existences qu’il n’est plus de roman sans la vie des lecteurs qui enfin s’autolysent.

 

La liberté des goûts, je suis pour, à la condition d’être et le sucre et le sel de vos choix.

 

(Où donc est passée la libraire ?)