764.

Car déjà Nicolas perçait sous Le Golvan…

 

Ce qui d’emblée surprend chez Nicolas Le Golvan, au-delà même de l’excellence d’un livre sculpté avec le silex et les dents, c’est la nature de son entrée en littérature. Reste l’été, que publie Flammarion aujourd’hui, est certes un premier roman selon les règles délimitées du genre : un auteur inconnu, une histoire, un lieu, des personnages, le combustible des péripéties, auxquelles s’ajoute le désir d’une appartenance. Mais c’est aussi pleinement et sans conteste le deuxième livre d’un écrivain gymnaste, adepte du grand écart, qui publiait il y a six mois son premier texte chez nous ; hors piste, hors genre, canada dry jeté contre les murs de la glotte littéraire au risque mal mesuré d’un rebond sur le pif : Dachau Arbamafra est bien le premier livre de Le Golvan.

Premier roman et deuxième livre, Reste l’été atteste la souplesse inédite d’un écrivain en équilibre entre deux modes de production bien différents des livres dans l’espace littéraire d’aujourd’hui : on the one hand, Les Doigts dans la prose, structure méduse née sans épine dorsale à la suite d’un reflux gastrique ; on the other, Flammarion, superstructure pourvue d’une prothèse toute nouvelle de 251 millions d’euros et de pastilles Rennie. En moins de six mois, Le Golvan est passé de l’une à l’autre. La légende déjà lui tisse des langes dorés, Hugo dans l’air et doigt levé.

L’histoire s’est jouée en réalité presque en même temps, mais nous avons dit Oui ! – Oui ! d’emblée et d’abord, dès la première ligne de ce texte reçu le Jour des Morts, portés par l’enthousiasme d’une écriture ambivalente, narrative, disruptive : la norme et l’écart dans le même mouvement. Dachau Arbamafra est lui aussi un roman
de plage débordé par les miradors du style !

Nulle querelle ici. Mais qui voudrait de Goliath sans David ? Face à Nicolas comme à Le Golvan, le lecteur affronte un style, une figure, une manière d’être aux philistins du romanesque : la fronde contre le récit ; le récit devenu fronde. Le Reste, avec l’été, est moment ou saison, passagère et renouvelée, immuable en son genre.

Reste l’été raconte l’éternelle histoire des livres comètes : Le Diable au corps, Le Grand Meaulnes, Swann vingt ans après (« L’édifice immense du souvenir » fait ici place à son « horrible faiblesse », p.76) L’anecdote, dans cette perspective, importe peu. L’écrivain est tout entier dans la justesse du trait ; la pierre est l’unique message du manieur de fronde. Son style impose une évidence.

Les deux phrases d’ouverture sont d’un classique regrettant l’âge baroque, le naturel et le recherché, l’atticisme et le tarabiscot. La contorsion y réinvente la ligne droite :

On n’avait rien que nos quarante ans, un seau et une pelle, des enfants en bas âge. On n’avait rien de particulier en mire sinon de revenir le lendemain, ici même, aux creux qu’auraient laissés nos fesses dans le sable humide, aux traces à peine perceptibles des anciennes douves du château fort, la marée ayant fait son œuvre de léchage, à moins qu’il n’en retourne d’une lessive plus profonde.

L’oscillation et la symétrie forment le secret de cette facture qui d’emblée jette le lecteur dans le tracé de la phrase, moins curieux des enfants en bas âge que des décalages infimes de la sémantique et des faux-plis de la syntaxe : les fesses dans le sable humide appellent l’œuvre de léchage. Les anciennes douves du château fort plantent dans le paragraphe la mélancolie comme un petit drapeau, point de ralliement pour le lecteur sur sa serviette éponge. Cette nostalgie à l’égard du roman, populaire par essence, narratif par nécessité, n’efface pas le travail précis de l’écriture ; elle en assure au contraire le renouvellement par delà la continuité du genre, en montrant que la narration n’est pas indispensable au roman, mais que ce dernier ne peut se passer d’un style.

Roman d’introspection dans la grande tradition du siècle passé et comédie de mœurs cinglant le nôtre, Reste l’été s’attache d’abord à investir l’espace romanesque (la plage, la maison) pour le faire advenir autrement qu’en soutien logistique à de paresseux personnages qui, disons-le, n’en foutent pas une rame. Le livre est en cela surtout ce bien-nommé roman de plage qui transforme un horizon de parasols en espace de révélation, d’élévation, châteaux contre marées, afin d’oser enfin l’existence sur le sable (20) que la littérature procure par vocation aux lecteurs comme aux écrivains : Plage avec métaphore. J’efface vite les lignes que mes doigts ont laissées dans le sable avant que quelqu’un n’y reconnaisse je ne sais quel symbole (67).

J’ai naturellement été très attentif au travail éditorial de ce livre, ce que j’en pressentais, qui m’a dans son ensemble ravi : j’aurais amplifié pour ma part la tonalité ironique dont Le Golvan est maître et comme en son royaume, et donné voix à la folie maternelle afin de proposer un contrepoids à la mélancolie trop télécommandée. Quelques péripéties plus ou moins requises ralentissent parfois le style rapide de Le Golvan, Achille au pied léger, courant plus vite que la flèche du récit. Le parti pris du réalisme romanesque, d’ailleurs discret, condamnait sans doute l’ironie et l’outrance à la remise au fond du jardin. Encore que le réalisme soit largement contrebalancé par des moments d’anthologie débridés : la leçon de survie aux sables mouvants (104) ressemble à un Traité du romanesque, art de surfer à la surface du sable, de La Fayette à Radiguet (on arrive à cette conclusion en coupant par les dunes et les raccourcis).

De là, aussi, cet art de la maxime et du court-circuit qui m’enchantait chez Le Golvan et que je redécouvre chez Nicolas presque à chaque phrase :

C’est ça une maison de famille, le lieu de nos défaites et de nos petites lâchetés, notre tiers-monde intime (27).

On est des touristes jusque dans nos jardins, on se prend constamment en photo (48).

Immédiatement, elle s’est sentie grossir, pousser des seins spectaculaires, un pubis courant jusqu’au nombril, des hanches de madone, un cul à perdre l’équilibre (91).

Je suis devenu un père comme ils le sont tous, des potentialités héroïques qui déchantent à la graisse des barbecues (105).

Mylène ne m’avait jamais demandé de ressembler à autre chose qu’un petit négligé d’homme qui se cherchait éternellement un rasoir jetable dans la corbeille de la salle de bain
(150).

Si Dachau Arbamafra marque le moment baroque d’un romanesque placé sous le regard de Cervantès, Reste l’été en renouvelle la phase classique, à la façon de Radiguet en son temps ; avec en prime les audaces du nôtre. Il reste à Nicolas, que je salue en cette chronique, à ne pas oublier Le Golvan.

Nicolas Le Golvan, Reste l’été, Flammarion, parution : 22 août 2012.

 


 

2 Replies to “764.”

  1. Le Golvan dit :

    Mille mercis sans bassesse.

    Vous pointez à la fois l’ongle du thérapeute, le sein de la parturiente, le pied au cul du père, la tape sur l’épaule d’on se souviendra longtemps qui. 

    Dachau n’est pas mon commencement, il reste ma mire.

    Mes baisers.

    Le Golvan

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