425.

5.

Grandes Orientations de la Littérature Française
(sur la planche à clous littéraire)

 

L’intérêt d’une classification… vous connaissez la suite.

 

 

 

En littérature, l’absence d’écriture passe de plus en plus souvent pour de la délicatesse : la platitude devient nuance, le cliché ironie, le réalisme hommage
à la tradition ou « rupture paradoxale », selon le degré de versatilité de la critique ou du langage.

 

Ma chère Lise, proposé pour le mois de septembre aux Éditions qui furent jadis celles de Minuit, me semble être une illustration possible de cette tendance
(extrait).

 

Les éditeurs autrefois dépositaires d’une dimension littéraire symbolique très forte affichent sans trop tergiverser le désir de se convertir à la ligne simplifiée
de Marc Levy – une exagération à peine –, prêts à vider la hotte, l’audace se mesurant désormais à l’engagement de l’éditeur dans cette nouvelle direction. Lisez Ma chère Lise. Les
extraits sont gratuits. Si je me trompe sur la nature de cet ouvrage, dites-le-moi, je le lirai par pénitence à sa sortie.

 

J’imagine très bien Premier amour de Beckett refusé, par ignorance du texte d’abord, par choix ensuite. Il est possible que la vitrine Beckett ne fasse
plus recette chez Minuit et qu’il soit
indispensable de l’éclaircir à coup de pavé.

 

Cela ne fait pas problème. Contre la sacralisation de l’œuvre, de l’auteur et des rites littéraires, je trouve bon en tant que lecteur de me brosser et de me
décrasser de mes admirations, en inventant in et ex petto le paillasson Balzac, la serpillière Beckett, le sac poubelle Artaud, la pelle à ordures Michaux. La radicalité fait sens ici encore,
même s’il lui arrive de manquer de subtilité. Me paraissent gênantes, en revanche, les publications sentimentales sous la bannière de l’éditeur de Beckett et de Charlotte Delbo. Où est le lien

 

Les grands éditeurs littéraires demandent aujourd’hui à des auteurs emballés comme des chips d’enfiler les chaussons feutrés d’une grammaire assagie, ni graisse ni
calorie, traduite en quatrième de couverture dans le langage des conversations apéritives. L’anodin devient une vertu éditoriale, le minimalisme le signe d’une attention au monde, le name
dropping
un art littéraire en soi, l’indiscernable une vocation philosophique, l’insolence et l’audace la combinaison des quatre techniques précédentes. Cela dit, les petits éditeurs ne sont
pas exempts de choix fades et pusillanimes. J’en dirai un jour quelque chose, la mort dans l’âme mais le couteau entre les dents.

 

En attendant, nous allons pouvoir adorer d’un amour fou des livres reconditionnés, façon aphone 3 G-erbes.

 

Chez Minuit, j’ai l’impression que les exceptions notables permettent pour quelque temps
encore de faire passer la règle en vigueur chez les poids lourds de l’édition, qu’ils soient financiers ou symboliques : surfer sur les goûts majoritaires et les écritures pacificatrices.

 

La nouvelle génération de livres à taille unique brouille les espaces éditoriaux. Là où P.O.L. assume ses choix d’éditeur généraliste, défendant dans le même espace
le rare et le facile, Minuit choisit la facilité romanesque pour enseigne littéraire, épuisant ainsi le fonds naguère dédié à la littérature sans le renouveler. L’amateur est certain de
pouvoir encore trouver chez P.O.L. des écrits novateurs et expérimentaux. Echenoz, Lenoir et Toussaint, Mauvignier dans une moindre mesure, s’adressent depuis quinze ou vingt ans à la middle
class en voie de défiscalisation politique et culturelle. À l’exception de Chevillard (Ô Master!), rien chez Minuit ne répond à mes attentes littéraires. À l’occasion de conversations
informelles, de nombreux amateurs, écrivains et critiques, font le même constat. Après avoir renoncé à la littérature, Gallimard semble hésiter pour ses collections d’automne entre populisme
littéraire et littérature populaire. Actes Sud s’est résolument spécialisé dans l’industrie du roman biodégradable en direction du grand public. Tout respect pour le grand public. La question
n’est pas là (voir P.O.L.).

 

Minuit pourrait réapprendre à sauter mieux. Pour se refaire une place dans le vide.

 

– Nulle nostalgie chez moi d’un âge d’or débordé par l’ordure contemporaine, se dit le petit éditeur. Je trouve le constat précédent plutôt encourageant. Les grands
sauriens de l’édition et de la critique font entendre leurs dernières clameurs, coincés entre deux âges, au milieu de vieilleries replâtrées aux goûts du jour, incapables de persévérer dans leur
être propre. Rallié aux illusions d’un marketing qui l’absorbe déjà, et faute d’avoir su accompagner les transformations de l’écriture littéraire, Minuit se prépare symboliquement à devenir la
filiale de Robert Laffont. Il y a d’ailleurs de très bons classiques dans la collection Bouquins.

 

Les vocalises hurleuses de Laure Adler, chaque matin sur France-Culture, qui tiennent autant du chat dans la gorge que du chant du béton armé, marquent d’une
évidence salutaire la dissolution en cours du champ littéraire et sa recomposition à venir. Nous assistons aux derniers soubresauts avant liquidation définitive et enlèvement des bennes.

 

En renonçant à préserver leur capital symbolique, les grands éditeurs d’hier renoncent aussi à être les dépositaires et les conservateurs des œuvres littéraires
contemporaines, et abandonnent le champ de la littérature aux éditeurs installés dans les marges, où désormais s’élaboreront et se  transmettront, à une échelle moindre mais vive, les
chefs-d’œuvre de demain…

 

– Au risque de tourner en rond dans les périphéries, ajouta le petit éditeur, dont le mauvais esprit tournait à plein régime dans les turbines de son âme noire. Je
me méfie de la délicatesse en littérature. C’est une promesse difficile à tenir.

2 Replies to “425.”

  1. Il etait une fois une jeune stagiaire aux éditions Gallimard. Elle assistait à une réunion dite littéraire dont elle se souvient très précisement. Elle était jeune et ne savait rien de
    l’édition puisqu’elle était jeune et ne savait rien de l’édition. Le débat portait sur la republication de l’oeuvre de Valery Larbaud. Cela tergiversait. Oui, mais vous comprenez… si
    ça continue, je nous quitte sur-le-champ ! Et puis une Autorité Littérale trancha dans le vide du sujet : Est-ce vraiment nécessaire de publier cette femme ? Chacun s’en
    retourna à ses affaires. En silence, la jeune stagaire se dit qu’effectivement, elle ne connaissait rien de l’édition.

     

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