20. Balzac pilote de formule 1

Achetez Paris Match : « Balzac, pilote de course, remporte la compétition ! »

– Non, me disait le gros homme, assis sur la rambarde, un peu après son abandon. Inutile de perdre mon temps dans les compétitions. Je suis un monument de la littérature mondiale. C’est ma fonction. Ma seule présence fouette les vocations. Je maintiens un doute fécond sur la valeur de ce qui se publie. Je suis la ligne du départ et la ligne horizon, j’ensoleille et je fais de l’ombre ; on m’admire autant qu’on me décrie ; on m’imite, on me pastiche. C’est ainsi que je contribue à renouveler le désir d’écrire et le besoin d’y croire.

(Une voiture passe.)

– Mon cher David Marsac, poursuivit le gros homme, entraîné par la nostalgie scolaire. Votre génération est en ébullition, en  proie au doute identitaire. Elle se construit ses monuments. Je vois dans l’air des positionnements, des styles, de l’invention, mais pas de quoi durablement faire masse pour le moment.

– Que faire, Balzac, pour stimuler la gestation ?

– Admirer : écrire et publier. Foncer dans la mêlée, une oeuvre de plus aux oeuvres déjà créées, c’est la formule à suivre, ne jamais s’arrêter, rien contrôler, accélérer… Le présent fixe la valeur des oeuvres et pour cela il faut créer, entretenir la profusion, suivre sa pente et ses modèles (quitte à leur rentrer dedans).

 

– Et quels sont-ils, Ô Master ?

 

–  C’est là où mon pouvoir s’embrouille. Je ne vois pas clairement d’où part votre génération, où elle va. C’est embêtant pour ma réputation, mais très bon
signe pour l’avenir.

 

Balzac se retira subitement avant l’arrivée des pilotes et la remise du prix, empêtré dans sa robe de chambre, ivre de gaz d’échappement. Et je revins à la maison,
entretenir mes éditions.